jeudi 18 février 2010

Le conte du vendredi contemongol L'arrêt du Bouquetin (TEKHIIN DZOGSOOL)


NOUK S'ENTRAINE AVEC BERNARD QUENTAL
L'Arrêt du Bouquetin (Tekhiin dzogsool) -
B. YAVUUKHULAN (1929-1982)
traduit du mongol par M.-D. Even et B. Tuyaatsetseg

C'est en 1969 que Begdziin Yavuukhulan, l'un des plus grands poètes de la Mongolie moderne, a écrit "L'Arrêt du Bouquetin", dédié à son père Begdz, chasseur réputé. Ce poème célèbre est tiré d'un petit recueil publié à Oulan-Bator en 1970 sous le titre, justement, de Tekhiin dzogsool.




Comme il fut clément

L'hiver de cette année-là,

Et comme il était haut

L'Arrêt du Bouquetin !
"On dit que le vieux bouquetin

Ne peut plus porter ses cornes,

Qu'il devient incapable

De suivre son troupeau.

Au fond des montagnes brunes

Notre hivernage avait nom l'Ubac.

Long à atteindre, mais abrité pour l'hiver,

Et doté d'un tapis de crottin sec et luisant.
"On dit qu'il s'en retourne

Dans les montagnes qui l'ont vu naître,

Qu'il trouve le lieu de sa naissance

Pour s'y coucher.

C'est au coeur de l'automne

Que mon père partit vers les montagnes brunes

Au camp de l'Ubac

Nous passâmes l'hiver à trois familles.
"On dit que dans ses derniers jours

Il gravit un sommet,

Que les hommes appellent

L'Arrêt du Bouquetin.

Les sommets des monts alentour

Etaient tous élevés.

Parmi eux, l'Arrêt du Bouquetin

Se dressait le plus haut.
"On dit qu'il se tient immobile

Des jours durant sur ce haut pic,

Qu'il regarde derrière lui

Toute sa vie passée.

Une fois installé au camp d'hiver,

Mon père chassa quelque temps.

En prévision de l'hiver,

Nos familles travaillèrent quelque temps.
"On dit qu'il se réjouit à la vue

Des eaux pures où il buvait,

Qu'il contemple avec bonheur

Les prairies où il paissait.

Vous dirais-je la douceur de l'hiver

En cette année clémente,

L'agrément d'un hiver en montagne,

Quand herbe et neige sont égales !
"On dit qu'il regarde une dernière fois

La large troupe de ses semblables,

Qu'il lance un ultime regard

Vers cette terre qui l'a porté,

Dans les monts du Gobi, le printemps arriva

Comme à son habitude.

Pour nos trois familles vint le temps

D'aller près d'un cours d'eau.
"On dit que le poids de ses cornes

L'entraîne dans l'abîme,

Qu'un être manque alors

Au monde chatoyant."

Un matin, comme il était dehors,

Mon père m'appela,

Et me mit dans la main

Sa longue vue télescopique.
Tous avaient écouté, muets,

Le récit de mon père ;

Sur la joue d'une vieille,

Des larmes coulèrent.

"Que vois-tu sur l'Arrêt du Bouquetin ?

Regarde bien !", dit-il.

Et l'instant qui suivit,

Il poussa un soupir.
De ce jour, mon père

Sembla préoccupé.

Plus question désormais

De quitter l'hivernage.


"Je vois un pic

Au sommet pointu qui atteint les nuages,

Je vois un aigle

Tournoyant dans le ciel qui surveille son nid.
Il revient vite, à trois familles,

Le tour de garde des moutons,

Trois jours à peine sont écoulés

Que voici revenu son tour.

"Si proche est le sommet

Qu'on pourrait le toucher,

Si pur est le ciel au-dessus

Qu'aucun nuage ne tache. "
"Ne va pas là-haut paître les moutons",

Avait recommandé mon père.

Assis dehors, chaque matin

Il observait le pic.

"Fixe tes yeux, dit mon père,

Sur l'Arrêt du Bouquetin.

"Il y a là un animal",

Ajouta-t-il.
Trois familles passant l'hiver

Au campement de l'Ubac,

Un sommet attirant à lui

Le regard des hommes,


Je fixai ce pic familier

Contemplé tout l'hiver :

J'aperçus au sommet un bouquetin

Aux cornes déployées.
Trois familles passant l'hiver

Au campement de l'Ubac,

Un sommet attirant à lui

Le regard des hommes,

A la vue du bel animal des montagnes,

Mon cur fut en joie.

"C'est un bouquetin noir !",

Criai-je presque.
Cette image, des jours durant

Mon père la contempla,

Cette image, des jours durant

Nous retint à l'hivernage.

Sans mot dire et tirant sur sa pipe,

Mon père retourna dans la yourte.

A la nouvelle du bouquetin,

Les voisins s'assemblèrent chez nous.
Un matin, après avoir regardé,

Mon père entra dans notre yourte.

Nous le vîmes qui souriait

Et, assis, buvait son thé.

Mon père, silencieux,

Ne buvait pas son thé.

Il éclaircit sa voix

Et d'un air triste raconta :
"Comme je le pensais, dit-il,

Il est tombé dans le vide."

"C'est mieux ainsi, le malheureux !",

Compatit ma mère.

"Je reçois largement

Les bienfaits des monts argentés .

Mais je vois pour la première fois

Un bouquetin sur son arrêt d'éternité.
Le lendemain matin, nos trois familles

Chargèrent de bonne heure ;

Tous ensemble, dans un nuage de poussière,

Hommes et bêtes quittèrent le camp d'hiver.

"Il était, l'an passé,

A l'Eau de la Chèvre.

Le voici, à n'en pas douter,

Sur son dernier arrêt.
Mon père tourna les yeux

Vers l'Arrêt du Bouquetin

Et doucement murmura

"Mon pays natal !".

"Naître et puis mourir

Est la loi des êtres vivants.

Quitter la terre de sa naissance

Est un pas difficile.
Comme il fut long

L'hiver de cette année-là,

Et comme il était haut

L'Arrêt du Bouquetin !
Nouk NOUS A RACONT2 0 LA TABLE DU TRANSSIBERIEN

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire