vendredi 19 mars 2010

(Henri Gougaud, Le livre des chemins)


Le roi qui n’avait jamais tort



Ce roi-là était coléreux mais il s’estimait délicat, cruel mais il se croyait juste, peureux mais il s’imaginait aussi fier qu’un chêne à midi. Il ignorait qu’en vérité, tant par derrière que devant, il était fou comme le vent. Tous les matins, dès son lever, il se retirait un moment avec son moine préféré, et les mains jointes il lui chantait à peu près le même refrain.

- Que l’on soit d’accord avec moi, voilà, monsieur mon confesseur, ce qui m’est le plus nécessaire. Cela me fait du bien, cela me dénuage, cela me remplit de beau temps. Voyez-vous, je hais les conflits. Les semeurs de disharmonie me sont infiniment odieux. Ils méritent qu’on les démembre, qu’on les empale lentement, qu’on les fasse rôtir vivants sur des grills hérissés d’aiguilles. N’ai-je pas raison, dites-moi ?

- Sans aucun doute, majesté.

- Voilà ce qu’il me plait d’entendre.



Il avait donc, au fil du temps, dépeuplé son gouvernement. Tel ministre, pour un « oui mais » avait mijoté jusqu’à l’os dans une soupe de châtaignes, tel autre avait subi le pal pour une moue trop appuyée. Bref il advint qu’un jour de pluie il se retrouva face à face avec le dernier survivant, un jeune chef de cabinet malin comme un voleur d’oiseaux.

- Miserere ! gémit le roi. La fidélité, mon garçon, a cessé d’être, de nos jours, une vertu ministérielle. Que le diable emporte ces traîtres ! Heureusement, toi, tu es là. Tu m’aimes, toi.

- Oui majesté.

- C’est parfait, mon fils, continue. Et maintenant, il le faut bien, parlons de l’état du pays. Tu sais que nos coffres sont vides et que le peuple meurt de faim. J’ai trouvé, je crois, le moyen de nous redorer la finance. Si je me trompe, tu le dis, n’hésite pas, tu me connais.

- Vous tromper, vous ? C’est impensable ! Majesté, je suis tout ouïe.

- Il paraît que l’or pousse en terre.

- En effet, sire, il doit rester quelques filons inexplorés.

L’autre ne parut pas l’entendre. Il s’exclama, illuminé :

- Réfléchis donc, mon bon ami. Pour que l’or pousse droit et dru, il faut d’abord qu’il soit semé !

Le jeune homme eut un peu de mal à capter la démonstration tonitruante de son maître, mais il répondit :

- Oui, bien sûr !

- Prends donc ce qui nous reste en caisse, trouve une friche bien cachée, laboure-la, et ensemence. Le printemps venu, on récolte et voilà, le tour est joué. Suis-je pas un génie ?

- Vous l’êtes, majesté.



Le malin courut à la banque, emplit, ordre du roi, son sac, l’enfouit derrière les jambons au fond de son garde-manger, s’en fut sur la lande anonyme, laboura consciencieusement et sema du blé ordinaire. Quand ce fut fait :

- Emmène-moi, dit le monarque à son ministre, je veux voir mon champ de tout près, mais en secret, gare aux voleurs !

- Oui, à vos ordres, majesté !

Ils chevauchèrent déguisés l’un en borgne, l’autre en bossu. Chemins déserts, petits sentiers, après une demi-journée, au fond d’une vallée touffue, les voici au bord d’un torrent.

- C’est encore loin ?

- Nous y sommes. Allons, courage, traversez !

Au milieu de l’eau rugissante le roi ne tomba pas tout seul, son jeune ministre l’aida d’un grand coup de trique assassine.

- Malheur ! Misère ! Je me noie !

- Oui majesté, assurément, vous avez mille fois raison, vous vous noyez, c’est évident!

Le jeune homme s’en retourna. On dit qu’il coiffa la couronne. Fut-il sage ? Non, il fut roi, ni comme toi, ni comme moi.



(Henri Gougaud, Le livre des chemins)

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