samedi 6 mars 2010

La rascasse


La rascasse
Amour sculptural

Il fait chaud. Le Pétrus et la chaîne des Pyrénées orientales dessinent l’azur pur. Il ouvre la grande baie pour profiter de la fraîcheur du vent de la mer et celle de l’ombre des pins parasols. Il interdit Fernanda de regarder sa toile. Il n’est pas satisfait du visage, l’inspiration lui est volée par la montée d’un désir soudain et impétueux. Reynald a envie d’enfouir sa tête entre les deux pommes de fesse d’y renifler le monde souterrain de Novalis.

Quand il voit la poitrine blanche, lourde à l’alvéole large, régulière, une couronne de coraux à l’île des Pins dans sa Polynésie, si chère, dans ses moments de doute qui l’embarque si loin. Là –bas il ne prend pas à son service des bonnes à demeure. Il les renouvelle 7 fois, le temps d’un séjour. Goûter le prisme lumineux de diamant. Son cher Wolfgang et sa Christiane, « son trésor de lit, sa moitié d’orange » la muse de ses élégies romaines…Ah ! Fernanda ! Mon pinceau brûle mes doigts.

Fernanda si innocente, si vierge, ignorante tout du tumulte intérieur, elle vend avec grâce le poisson de son père, au marché de Cordoue. C’est ainsi qu’il l’a rencontrée un jour où, en manque d’inspiration, il était venu au marché. Vivre le rien, le vide, son regard, sa boite d’aquarelle. Il avait vu la rascasse. Il se sentait l’humeur d’une nature morte. Ses rouges, ses orangers, son blanc immaculé.

Acheter la rascasse. Il lui manquait deux francs. Avec sa voix chantante, la petite marchande de poissons lui avait proposé un poisson du même goût moins onéreux. Voyant que le jeune homme insister pour cette rascasse, elle lui dit avec l’accent du Sud Ouest : « les artistes, je comprends cela… il y en a plein par ici. Moi, je travaille, j’ai de quoi mangé dans mon assiette. Elle, avec un sourire où le cœur s’ouvrait comme une corne d’abondance : « prenez Monsieur, je paierai la différence ». Reynald plongea les yeux dans ceux de Fernanda…: « Eh ! Monsieur Reynald ! Ce n’est rien pour moi, je travaille toutes les vacances, je vais pouvoir aller au lycée, j’aide mes parents pour payer l’internat, je vous en prie… » Ce que Fernanda ne savait pas c’est qu’il était l’homme le mieux nanti de la région…, bien né, son père, un des directeurs de l’usine Michelin. Toute sa vie, il n’avait jamais su, pourquoi on l’aimait lui ? Ses origines ? « La Rascasse . Merci » dit alors Reynald avec une émotion qui n’échappe pas à la sensible Fernanda.

Au marché suivant, il revient lui rendre ses 2 francs. Sud-ouest accent souriant : « je ne veux pas » dit Fernanda . Lui : « Accepter ! ? Alors je vous invite après votre marché, sur la pergola pour déjeuner … »
« Vous avez déjà vendu votre tableau ? Je ne voudrai pas vous mettre en peine ! »
Lui : « A quelle heure ? »
-« 14 h »
Elle se mit à chanter ses poissons.
Rascasses, sardines,
Mulet bleu, loubines,
Espadons, sabots de cheval,
Langoustines, murènes,
Écrevisses, Anguilles,
Rougets, lieux noirs,
Oursins
La morue de terre neuve,
Les pieds de biches des Almadies, Almadines,

Berniques, berniques
de toi !!!!
Un jour sera.
Qui vivra, verra ,
Demain n’est jamais bien loin
Laissons le venir,
Venir qui vivra, verra
Dans le jardin d’un grand château une princesse…

Rascasses, sardines…..

Reynald s’éloigne lié à l’allégresse du chant de la petite poissonnière.

Ainsi, elle devient le modèle, l’inspiratrice du peintre Reynald, ses après-midi et jours de congé du marché Le temps après les poses prend des airs d’éternité. Leurs mains se lovent, leurs lèvres s’humectent de la bave d’amour…

A l’heure où a commencé ce récit, nous sommes déjà septembre.

Les marrons pétaradent les dalles de l’atelier. L’après-midi passe dans une fébrilité d’avant orage de montagne. Reynald est poussé d’un désir fou comme un cheval, le plus sauvage d’un rodéo. Fernanda est vierge. Il ne peut lui faire çà. Sa confiance, son innocence. Elle n’a d’argent que son courage d’en gagner pour son tracer la route. Son hymen en dote. Ne pas mépriser son bien précieux. Une phrase de la Bible lui revient. Lu souvent par sa grand-mère Gudule, ses jours nuits de tempête-tristesse comme un oracle : « Ne dédaigne aucun homme, aucune femme, et ne méprise aucune chose, car il n’y a pas d’homme, de femme qui n’ait son heure et il n’y a pas de chose qui ne trouve sa place. »

Reynald invite Fernanda à aller prendre leur dernier bain de mer. Elle acquiesce offrant son oui dans le creux de yeux de Reynald. La distance est grande de la sellette au grand chevalet. A ce moment conjointement à leur regard suspendu, des perles d’aurore irriguent leurs joues rizières. Leur volonté ne peut plus rien tenir. La vie garautée en la fin éminente.

Fernanda part sur la plage devant. Elle coure après les rafales du vent. Quand elle trouve son flot, elle tournoie en spirale dedans. Elle s’offre aux vagues telle elle l' aurait fait, au cou, au corps de Reynald, avec éclats de rires, de sanglots. Nous ne le saurons pas. Ils nagèrent en cœur, au chœur des sirènes jusqu’à l’épuisement. Comme des naufragés, ils se hissent des dernières vagues à l’estran de la plage. Ils s’étreignent. Fondus l’un dans l’autre. Dans le bronze d’une sculpture. Coulés. Toute la nuit. Caresses des étoiles filantes. Des algues phosphorescentes des rives de la mer. Ils vécurent, sans fermer l’œil, cette immobilité où transmuait d’un corps à l’autre, l’infini de leur amour. Sa divine beauté.

Cupidon, berger de ces ouailles là, Cupidon a remis les flèches dans l’étui. L’arc en bandouillère. Quand le château de sable s’ébroue par la marée. Il s’envole dans les brumes matinales. Ils avaient résisté à l’attraction fatale. Les dieux allaient lui faire un sermon. Mais tel le taureau dans l’arène, quand il s’est comporté divinement, les aficionados réclament dans des olés, olés, olés à faire s’écrouler les pierres des tribunes : la grâce du taureau.

Cupidon n’oubliera jamais ces deux là. Dorénavant à chaque lancée de flèche, il marmonne aux duvets de ses ailes : auront-ils la force de succomber à l’attraction fatale.

LA FABRIQUE DE PREMIER JET
texte en atelier d'écriture DE LA MANGOU 2006
FRANKIE PAIN

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