vendredi 30 septembre 2016

John Irving : Twister river

Hier dans le bus  57 de Bagnolet à place d'Italie  une heure de route, je lisais ce livre  dont voici un extrait , en face de moi une femme maghrébine  avec son « shador » marron une longue robe marron des lunettes et dessus une  longue chemise rose me regardait lire  et j'étais prise dans les tronc d'arbres qui dévalait la rivière avec les précis détails de la plume de John Irving et elle me regardait il est vrai j'ai le visage très expressif , je me rendis compte que mon visage était devenue un écran géant où pour elle se faisait un film de ce que je lisais sans savoir ce que je lisais , à un moment nos visage se sont croisés et elle m'a remercié d'un sourire complice.
J’ignorais le film qu'elle s'était faite mais elle avait vécu de grandes émotions comme moi.
un magnifique moment.


L’extrait
Dernière nuit à Twisted River entraîne le lecteur dans une formidable traversée d'un demi-siècle de l'histoire américaine.

Le jeune Canadien - quinze ans, tout au plus - avait eu un instant d'hésitation fatal. Il avait cessé de danser sur le bois flotté du bassin, au-dessus du méandre, et en un clin d'oeil il avait glissé sous l'eau corps et biens sans qu'on ait pu saisir sa main tendue. L'un des bûcherons, adulte celui-là, avait tenté de l'attraper par les cheveux, qu'il portait longs. A peine le sauveteur en puissance avait-il plongé la main à l'aveuglette dans l'eau trouble et dense, un vrai bouillon de culture avec ses plaques d'écorce à la dérive, que deux troncs s'étaient heurtés violemment sur son bras, lui brisant le poignet. Le tapis mouvant des grumes s'était déjà refermé sur le jeune Canadien ; on n'avait même pas vu resurgir de l'eau brune une de ses mains, une de ses bottes cloutées. 
Quand les grumes se télescopaient, sitôt qu'on avait débâclé la bûche centrale, il fallait se déplacer prestement sans relâche ; si les conducteurs du train s'immobilisaient, ne serait-ce qu'une seconde ou deux, ils basculaient dans le torrent. L'écrasement guette parfois les draveurs avant même la noyade, quoique celle-ci soit chez eux plus fréquente. 
Depuis la berge, où le cuisinier et son fils de douze ans entendaient les imprécations du blessé, on avait compris tout de suite que ce n'était pas lui qui avait besoin d'assistance, car il avait libéré son bras et repris l'équilibre sur les troncs flottants. Sans s'occuper de lui, ses camarades avançaient à petits pas rapides sur le train, criant le nom du disparu, poussant inlassablement les troncs devant eux du bout de leur perche, surtout préoccupés de rallier la berge au plus vite, mais le fils du cuisinier ne perdait pas espoir qu'ils dégagent un espace assez grand pour permettre au jeune Canadien de refaire surface. Pourtant, les intervalles entre les troncs se raréfiaient. En moins de temps qu'il ne faut pour le dire, le garçon qui s'était présenté sous le nom d'Angel Pope, de Toronto, avait disparu. 
- C'est Angel, tu crois ? demanda le fils à son père. 
Avec ses yeux sombres et son expression sérieuse, on aurait pu le prendre pour le frère du disparu ; mais on ne risquait pas d'ignorer l'air de famille entre lui et son père, toujours sur le qui-vive. Il émanait en effet du cuisinier une aura d'appréhension maîtrisée, comme s'il avait coutume de prévoir les désastres les plus improbables, et ce trait se retrouvait dans le sérieux de son fils. En somme, l'enfant ressemblait tellement à son père que plusieurs des bûcherons s'étaient ouvertement étonnés de ne pas le voir claudiquer très bas comme lui. 
C'était bien le jeune Canadien qui était tombé sous les troncs, et le cuisinier ne le savait que trop, lui qui avait mis en garde les bûcherons : Angel était trop novice pour conduire un train de bois ; on n'aurait jamais dû le laisser débâcler les troncs coincés. Mais sans doute avait-il voulu faire du zèle, et il se pouvait que les bûcherons ne l'aient même pas vu, au départ. 
Selon le cuisinier, Angel Pope était de même trop novice - et trop maladroit - pour travailler à proximité de la grande scie, à la scierie. C'était le fief exclusif du scieur, poste hautement qualifié. L'ouvrier chargé du rabot occupait un poste assez qualifié lui aussi, mais sans les risques. 
Parmi les fonctions les plus dangereuses et les moins qualifiées, il y avait celle d'ouvrier des quais, où les troncs étaient roulés jusque dans l'usine et mis sur le chariot de la scie, ou encore celui qui consistait à décharger les bûches des camions. Avant qu'on ait inventé les monte-bois, quand on détachait les montants de la benne, un tronc entier pouvait tomber. Il arrivait aussi que les montants refusent de livrer leurs troncs, et que des hommes se retrouvent coincés sous une cascade de grumes, en voulant les débloquer. 
Le cuisinier estimait qu'on n'aurait jamais dû placer Angel sur le chemin des bûches mouvantes. Mais les bûcherons, tout comme le cuisinier et son fils, avaient un faible pour le jeune Canadien, et celui-ci avait déclaré en avoir marre de trimer à la cuisine : il avait besoin de se dépenser physiquement, et il aimait travailler au grand air. 
Le crépitement des gaffes qui poussaient les troncs fut brièvement interrompu par les cris des draveurs : ils venaient de repérer celle d'Angel, à cinquante mètres au moins de l'endroit où il avait disparu. La perche de cinq mètres s'était détachée du train, et dérivait au gré des courants. 
Le cuisinier voyait bien que le convoyeur de troncs avait regagné la berge, en tenant sa perche dans sa main valide. A sa bordée de jurons d'abord, et aussi un peu à sa chevelure d'étoupe et sa barbe en broussaille, il avait compris que le blessé n'était autre que Ketchum, pour qui les trains de bois et leurs pièges n'avaient pas de secret. 
On était en avril, peu après la fonte des neiges, au début de la saison boueuse, mais la glace n'avait cédé que depuis peu dans les bassins, les premiers troncs étaient passés au travers en amont, du côté des étangs de Dummer. La rivière était grosse, glaciale ; les bûcherons gardaient souvent barbe et tignasse, qui les protégeraient tant bien que mal des taons, à la mi-mai. 
Ketchum s'était couché sur le dos le long de la berge, tel un ours échoué. La masse mouvante des troncs déferlait devant lui. Le train de bois prenait des allures de radeau de sauvetage, et les bûcherons encore sur l'eau faisaient figure de naufragés en mer, sauf que cette mer passait en un clin d'oeil du vert-de-gris au bleu-noir : à Twisted River, les eaux étaient généreusement teintées de tannins. 
- Eh merde, Angel, gueulait Ketchum, dos tourné, je te l'avais pourtant dit de bouger les pieds, faut pas avoir les deux pieds dans le même sabot, quoi ! Eh merde ! 
Le vaste flux de troncs n'avait pas servi de radeau à Angel ; il s'était sûrement noyé, à moins qu'il n'ait été écrasé dans le bassin, au-dessus de la boucle, mais les bûcherons, dont Ketchum, suivraient tout de même le train jusqu'à l'endroit où la Twisted se déversait dans le réservoir de Pontook, au barrage de la Morte. C'était le barrage de Pontook qui avait permis le réservoir ; quand les troncs d'arbres étaient lâchés dans l'Androscoggin, ils arrivaient au tricage, à Milan. A Berlin, l'Androscoggin faisait un dénivelé de soixante-dix mètres sur cinq kilomètres ; deux usines de papier semblaient diviser la rivière au niveau du tricage. Il n'était pas absurde d'imaginer que le jeune Angel Pope, de Toronto, s'y dirige à présent. 
A la nuit tombante, le cuisinier et son fils étaient encore en train de récupérer les restes en prévision des repas du lendemain ; des dizaines d'hommes n'avaient pas touché à leur dîner dans la petite cantine du hameau de Twisted River pompeusement baptisé village, tout juste plus grand et moins provisoire qu'un bivouac de bûcherons. Il n'y avait pas si longtemps, la seule cantine ravitaillant les convois n'était pas en dur. On avait connu une roulante, arrimée à un corps de camion, tandis qu'un autre, à côté, transportait un réfectoire démontable ; c'était l'époque où les camions se déplaçaient sans cesse d'un site à l'autre, avec l'ouvrage. 
En ce temps-là, les draveurs rentraient rarement à Twisted River à midi ou le soir, sauf le week-end. Le cuisinier du camp tambouillait souvent sous la tente. Tout devait être parfaitement portatif, les abris de nuit eux-mêmes étaient adossés aux camions. 
A présent, nul ne savait ce qu'il adviendrait du village fort peu florissant de Twisted River, situé entre le bassin et les étangs de Dummer. Les ouvriers de la scierie y vivaient avec leurs familles, et les propriétaires entretenaient des foyers à l'usage des travailleurs itinérants, canadiens français, où vivaient aussi la plupart des flotteurs de bois et des bûcherons. La compagnie octroyait en outre une cuisine mieux équipée et une vraie salle à manger au cuisinier et à son fils. Mais pour combien de temps encore ? Le propriétaire lui-même n'en savait rien. 
L'industrie du bois était en pleine mutation ; il deviendrait un jour possible pour tous les bûcherons de travailler sur leur lieu de résidence. Les bivouacs, et les établissements à peine moins marginaux comme Twisted River, c'était fini. Les wanigans eux-mêmes étaient en voie de disparition ; ces curieux abris pour manger et dormir, et pour entreposer du matériel, n'étaient pas seulement montés sur les camions, sur des roues ou des chenilles, bien souvent ils étaient aussi arrimés à des radeaux ou des bateaux. 
 
L'Indienne qui faisait la plonge pour le cuisinier avait jadis expliqué à son fils que le mot "wanigan" venait de la langue abénaki, si bien que l'enfant s'était demandé si elle venait elle-même de cette tribu. Peut-être connaissait-elle l'origine du mot par hasard, ou prétendait-elle seulement la connaître. A l'école, un de ses camarades, indien lui-même, lui avait dit que le mot était d'origine algonquine. 
Les draveurs travaillaient de l'aube au crépuscule pendant toute la durée des opérations, et l'usage voulait qu'on leur fournisse quatre repas par jour. Autrefois, quand les wanigans ne parvenaient pas à atteindre le site, les deux repas de la journée étaient acheminés à dos d'homme. Le petit-déjeuner et le souper étaient servis à la cantine du camp, aujourd'hui, à la salle à manger. Mais par affection pour Angel, beaucoup de bûcherons avaient sauté le repas du soir. Ils avaient passé la soirée à suivre le train de bûches, jusqu'à ce que la nuit les chasse, la nuit et cette évidence qui s'imposait à eux : nul ne savait si le barrage de la Morte était fermé. Car si le barrage de Pontook et celui de la Morte étaient ouverts, le corps du jeune Canadien serait bourlingué à toute vitesse le long de l'Androscoggin. Ketchum savait mieux que personne qu'en la circonstance, on ne retrouverait pas Angel. 







5 commentaires:

  1. un passage "flippant" Frankie je n'ai pas lu ce livre d'Irving
    je te souhaite une belle quinzaine car tu l'as bien deviné je suis en période vagabonde !
    gros bisous

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  2. C'est un de mes auteurs préférés. Je viens de lire "Je te retrouverai". L'univers du tatouage sur 800 pages... Je vais enchaîner par celui-ci.
    GROS BECS ma Belle Frankie

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  3. Une bien triste aventure que celle d'Angel. Mais cela donne envie de lire le roman en entier. Bonne semaine Frankie.

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  4. Une jolie histoire que votre rencontre muette mais complice avec la voyageuse qui te faisait face.
    J'aime beaucoup la manière dont tu nous racontes vos émotions partagées!
    grosses bises.

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